Nicolas de Cues 1401 - 1464 |
En ouvrant l’anthologie consacrée
à Nicolas de Cues publiée par les éditions du Cerf, on peut lire cet
avertissement :
« Nicolas de Cues est un
auteur majeur qui a assuré le passage du Moyen Âge à la modernité.
Malheureusement, il est assez peu connu en France. Maurice de Gandillac a été
le premier à le rendre accessible en français. Actuellement, un certain nombre
de traductions de ses ouvrages sont publiées, mais ces traductions sont encore
peu nombreuses compte tenu de l’ampleur de l’œuvre. »[1]
Mis à part le fait que Maurice de
Gandillac ne fut pas le premier à traduire le Cusain en français[2],
nous ne pouvons que nous accorder avec ce constat. Nicolas de Cues est bien une
figure capitale, jalon entre le Moyen Âge et la modernité, et, pour reprendre
l’expression du cardinal Vansteenberghe, le premier représentant de l’humanisme
allemand[3].
"C'est un des hommes de cette époque et peut-être de toutes les époques qui mériteraient le plus une biographie."
Malgré cette importance
indiscutable, il demeure en effet assez peu connu en France, parce que jusqu’à
très récemment, peu étudié. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler
qu’avant que la thèse de Maurice de
Gandillac, La Philosophie de Nicolas de
Cues, ne soit publiée en 1941, seuls trois textes importants avaient paru en
France au sujet du cardinal allemand :
- Un fort article (50 pages sur deux colonnes) que Frédéric Morin[4] consacra au Cusain au sein de son Dictionnaire de philosophie et de théologie scolastique publié sous la direction de l’abbé Migne en 1856. Voici les premières lignes de cette notice qui, bien que présentant une information limitée par rapport à ce qui est aujourd’hui connu de la vie et pensée du Cusain, reste d’un grand intérêt : « Nicolas de Cues, cardinal, métaphysicien et astronome du XVe siècle. C'est un des hommes de cette époque et peut-être de toutes les époques qui mériteraient le plus une biographie. On le trouve sur toutes les routes où a marché le génie moderne. Simple, modeste, vertueux, il n'eut qu’une ambition, celle de savoir, et cependant il sut se résigner sur plusieurs points à de simples conjectures. Il était fort porté aux idées mystiques, et néanmoins il sut agir et déployer dans sa vie pratique une certaine fermeté. »[5]
- Un chapitre de quelques 200 pages que Pierre Duhem[6] consacra à Nicolas de Cues et Léonard de Vinci au sein du deuxième tome de ses Études sur Léonard de Vinci, en 1906.
- Et enfin, la première thèse universitaire française consacrée au Cusain, Le cardinal Nicolas de Cues à Nicolas de Cues. L’action – La pensée, soutenue par Edmond Vansteenberghe[7] et publiée en 1920.
Il faudra ensuite attendre vingt
ans avant que Gandillac, aiguillonné par son « incomparable maître »[8]
Etienne Gilson, consacre une thèse à Nicolas de Cues et traduise une infime partie de son
œuvre. Mais durant des années encore Gandillac fera peu d’émules et demeurera
le seul spécialiste français du Cusain. Si bien que l’on retrouve sa signature
sous toutes les notices consacrées à Nicolas de Cues, aussi bien dans l’Histoire de la philosophie de
l’encyclopédie de la Pléiade, le Dictionnaire
des philosophes des Presses Universitaires de France, Le Dictionnaire de spiritualité paru chez Beauchesne sous l’égide
des jésuites ou encore l’encyclopédie Universalis !
Mais si le XXe siècle
fut peu prodigue, le XXIe semble vouloir le racheter. Depuis maintenant quinze ans, les nouvelles traductions et les ouvrages dédiés au Cusain sont nombreux.
Les Belles Lettres, le Cerf, les PUF, pour ne citer que les éditeurs les plus importants, travaillent à une meilleure diffusion des textes et permettent une appréciation
nouvelle de l’homme et de l’œuvre. Beauchesne n'est pas en reste
qui a publié depuis 2012 deux nouvelles traductions et un essai consacré à Nicolas de Cues.
"Afin que tu puisses aller selon les règles de la docte ignorance à la recherche de l’ultime et plus vraie conjecture…"[9]
Jocelyne Sfez s'est attelée à une nouvelle traduction des Conjectures, œuvre majeure de Nicolas de Cues, pendant de la Docte ignorance, ainsi qu’à un fort volume intitulé L’art de conjectures de Nicolas de Cues. Il s’agit là d’un savant et intégral commentaire et donc d’un précieux complément auxdites Conjectures. Jocelyne Sfez y analyse le texte qu’elle a traduit avec beaucoup de minutie. Tout en prenant soin d’étudier les références et inspirations de Nicolas de Cues – la bibliothèque de ce dernier est conservée au sein de l’hospice qu’il fonda en 1451 à Bernkastel-Kues – l’auteur souligne l’originalité et l’importance de sa philosophie. Cette étude remarquable et très dense exigera du lecteur un effort soutenu. Elle est suivie d’une très complète bibliographie et d’index forts utiles.
Autre volume réunissant cette fois des textes
jusqu’alors jamais traduits en français, Unité
et réforme regroupe dix opuscules ecclésiologiques écrits par Nicolas de
Cues. Ces textes divers et brefs – sermons, lettres, discours etc. – rassemblés,
traduits, présentés et commentés par Hubert Vallet traitent de la vie de
l’Eglise et donne un bon aperçu de la doctrine théologique que Nicolas de Cues
établi à son sujet. Ce recueil démontre une nouvelle fois que la
priorité absolue donnée à l’unité de l’Eglise se trouve au cœur de
l’ecclésiologie cusaine. Chaque opuscule
est pertinemment resitué dans son contexte par un court commentaire introductif.
Si bien que de nombreuses méprises et incompréhensions seront épargnées au
lecteur.
G.M.
Publications consacrées à Nicolas de Cues aux éditions Beauchesne :
(pour en savoir plus, il vous suffit de cliquer sur le livre)
[1] Klaus
Reinhardt, Harald Schwaetzer, Nicolas de
Cues. Anthologie, éd. du Cerf, 2012, p. 13. Edition française de Marie-Anne
Vannier.
[2] Il est
inexact d’affirmer que Gandillac fut le premier traducteur de Nicolas de Cues
en langue française. Même si l’on met de côté deux traductions datant du
XVIe (La Conjecture des derniers jours, du tresdocte Cardinal de Cusa, Allemant, traduit par François Bohier Evesque de saint Malo. A Paris: De l'imprimerie de Vascosan, 1562) et XVIIe siècle (Traité de la vision de Dieu du cardinal Nicolas de Cusa, traduit de latin en français par le sieur de Golefer, Paris, C. Chappellain, 1630), il n’en demeure pas moins que les éditions Alcan
publièrent De la Docte ignorance dans
la traduction du normalien Louis Moulinier dès 1930, soit douze ans avant que
ne paraisse le volume d’Œuvres choisies de Nicolas de Cues dans la
traduction de Maurice de Gandillac (Editions Aubier, 1942).
[3] Pour
resituer Nicolas de Cues dans son époque, nous vous invitons à lire
l’excellente Histoire de la philosophie européenne au XVe siècle,par Stefan Swiezawski.
[4] Frédéric
Morin (1823-1874) fut un philosophe catholique, normalien, agrégé de
l’Université, professeur de philosophie qui participa à l’Encyclopédie théologique de Migne en écrivant les deux volumes du Dictionnaire de philosophie et théologie
scolastique. Pour plus d’informations sur l’œuvre de l’abbé Migne vous pouvez vous référer à un précédent article en cliquant ici.
[5]Frédéric
Morin, Dictionnaire de philosophie et de
théologie scolastique, éd. J.-P. Migne, 1856, tome second, p. 293.
[6] Pierre
Duhem (1861-1916) professeur de physique théorique à la Faculté des sciences
de Bordeaux, philosophe des sciences et historien des sciences.
[7] Edmond
Vansteenberghe (1881-1943) diplômé de philosophie, docteur en théologie,
docteur ès lettres, enseignant à la Faculté de 1924 à 1941, évêque de Bayonne
à partir de 1939.
[8] Maurice
de Gandillac, « Etienne Gilson, incomparable maître », in Monique
Couratier (dir.), Etienne Gilson et
nous : la philosophie et son histoire, éd. Vrin, 1980, p. 11.
[9] Nicolas
de Cues, Unité et réforme, éd.
Beauchesne, 2015, p. 344.
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