Voici enfin disponible l’édition
intégrale des lettres échangées entre Jacques Maritain et Emmanuel Mounier.
Elle succède à une précédente édition partielle en y ajoutant un nouvel appareil
critique et 67 lettres retrouvées. Entre ces lettres, Sylvain Guéna qui a
établie cette nouvelle édition, insère fort pertinemment des extraits des Carnets de Maritain et du journal de
Mounier. Cela permet d’éclairer le contenu de certaines missives et de
renforcer la trame narrative. Les nombreuses notes, toujours proposées fort à
propos, renforcent encore le double intérêt de l’ouvrage. En effet, cette
correspondance ne permet pas seulement d’entrer dans l’intimité de deux grands
penseurs mais également d’assister à la difficile et passionnante gestation et
naissance d’une des plus anciennes revues intellectuelles françaises, Esprit. C’est donc un pan entier de l’histoire
intellectuelle du XXe siècle qui est éclairé d’un nouveau jour.
Entre 1932, date de la
publication du premier numéro de la revue et 1950, date de la disparition
prématurée de Mounier, Esprit aura eu
un rôle prépondérant dans le paysage intellectuel national et international. La disparition même
de son fondateur ne parviendra pas à mettre un frein à l’entreprise tant l’élan
insufflé par Mounier était puissant et spirituel[1]. Et pourtant, on le découvre à la lecture de cette correspondance, les difficultés financières, politiques et ecclésiastiques ne tardèrent pas à venir compliquer la tâche du jeune philosophe. Il parvient tout de même à tenir bon et à donner à sa vision personnaliste – troisième voie d'inspiration chrétienne entre le collectivisme despotique et le capitalisme matérialiste – une tribune de haute tenue.
Mounier est encore un jeune homme lorsqu’il
rencontre Maritain. Tout juste agrégé de l’université, il a 25 ans et n’a
encore rien publié. Maritain a 47 ans et une réputation de philosophe déjà
mondialement établie par la publication d’ouvrages importants. Au-delà de ces différences,
une foi profonde va lier les deux hommes. Le Christ est l’épicentre de leur
existence et de leur réflexion. Si bien
que l’on sent se nouer immédiatement une amitié spirituelle profonde
entre les deux hommes, une relation filiale. Maritain est dès l’abord d’une
extraordinaire générosité. Afin d’aider Mounier dans ses entreprises, il ne
ménage ni son temps ni ses relations. Patient et compréhensif, il prodigue ses
conseils avec autant de bienveillance que de fermeté intellectuelle. Fermeté
intellectuelle qui fait encore parfois défaut au jeune Mounier. Ce dernier démontre
pourtant sa grande intelligence et son extrême sensibilité. Fort respectueux
son aîné, il est capable de recevoir avec beaucoup d’humilité le meilleur de ce
qui lui est donné tout en gardant son propre cap.
Maritain tient le rôle de
conseiller mais aussi de directeur spirituel[2].
Si bien que Mounier se confie pleinement et que cette correspondance laisse
transparaître, au-delà d’une collaboration intellectuelle riche et fructueuse,
les appréhensions, les joies et les drames qui jalonnent l’existence d’un
homme.
Enfin, et c’est suffisamment rare
pour être souligné, on félicitera les éditions Desclée de Brouwer, éditeur
historique de la revue Esprit, d’offrir cette nouvelle édition sous la forme d’un beau volume doté d’une
reliure « à la bradel » et d’un agréable papier. Une invitation de plus à s'y plonger sans attendre.
Pour en savoir plus,
il suffit de cliquer sur le livre ci-dessous :
463 pages, 29 euros |
[1] Pour en
savoir plus sur la survivance de la revue Esprit,
à laquelle seront intimement liées d’importantes figures tels Henri-Irénée Marrou, Albert Béguin, Paul Ricœur ou Jean-Marie Domenach, on se reportera à :
Rémy Rieffel, Les intellectuels sous la
Ve République, éd. Calmann-Lévy CNRS, coll. Pluriel, 1995, tome 2, p. 118
et ss.
[2] Cf.
Jacques Maritain, Emmanuel Mounier, Correspondance,
éd. DDB, 2016, lettre 62, p. 152.
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