Henri-Irénée Marrou 1904 - 1977 |
Henri-Irénée
Marrou affirmait que « La valeur de la connaissance historique est directement
fonction de la richesse intérieure, de l'ouverture d'esprit, de la qualité
d'âme de l'historien qui l'a élaborée. [1]». S’il ne pensait évidement pas à lui en affirmant
cela, les lecteurs de Marrou conviendront sans peine que la maxime s’applique parfaitement
à son auteur.
Bien
connue des universitaires, son œuvre l’est nettement moins du grand public. C’est
que son nom a rarement dépassé le cercle des clercs[2]. Sa
carrière fut jalonnée par une abondante production d’articles scientifiques ou
politiques, et d’une dizaine d’ouvrages d’une qualité exceptionnelle. A
commencer par sa thèse de doctorat Saint
Augustin et la fin de la culture antique, qui, en 1938, analysait avec une
fraîcheur nouvelle la culture antique finissante au travers du prisme augustinien.
Ce
livre marque une date importante dans la restauration des études patristiques
au sein de l’université, institution encore tétanisée par un certain
positivisme.[3]
Il est également le premier ouvrage de Marrou à traiter de Saint Augustin[4],
qui, bien plus qu’un sujet d’étude, sera un véritable guide spirituel pour l’universitaire.
Élu à la Sorbonne en 1946, il y occupa la chair d’histoire des origines
chrétiennes jusqu’en 1975, date à laquelle son disciple et ami, Charles Pietri
assura sa succession. Ce dernier souligna l’ampleur du redressement accompli
par son aîné : « Henri Marrou arrivait à la Sorbonne dans une chaire
laissée par Guignebert, un positiviste conjuguant la critique de Seignobos avec
les leçons de Loisy. En face, beaucoup de catholiques de cette époque
post-moderniste écrivaient souvent une chronique de l’Eglise, à la manière des
Guelfes, comme l’illustration d’une institution militante. C’est une Nouvelle Histoire[5]
qu’écrivit H. Marrou… »[6]
Un homme engagé
Les
centres d’intérêt de Marrou furent nombreux : études
augustiniennes nous l’avons vu, littérature grecque et latine chrétienne[7],
épigraphie, histoire de l’éducation[8] et
de la culture, musicologie, et méthodologie historique[9].
Mais cette
extraordinaire profusion ne doit pas faire oublier l’homme engagé qu’était
Marrou. Avec
Emmanuel Mounier, il fut l'un des fondateurs de la revue Esprit en 1932, revue à laquelle il collabora jusqu’à sa mort.
Durant la seconde guerre mondiale, il s’engagea dans la résistance et participa
– avec quelques jésuites comme Gaston Fessard et laïcs comme André Mandouze – à
la création des Cahiers du témoignage
chrétien. Durant la guerre d’Algérie encore, il dénonça la répression et la
torture en publiant dans Le Monde du
5 avril 1956 un article incendiaire qui lui valu une perquisition policière à
son domicile.
C’est
également cet aspect de la personnalité d’Henri-Irénée Marrou que le recueil de
ses articles, paru au éditions Beauchesne, tente d’éclairer en révélant « le
chrétien, le citoyen, l’universitaire, l’intellectuel, engagé dans le monde de
son temps. »[10]
On
pourra écouter, en cliquant sur le lien ci-dessous, l’un des rares entretiens
qu’Henri-Irénée Marrou accorda à une chaîne de télévision. Il s’agit de l’émission
Rencontres diffusée par Radio-Canada,
le 10 mars 1974. On y découvre avec plaisir le « débit haché, dû à l’asthme,
et l’humour méridional »[11] d’Henri-Irénée
Marrou :
Disponible aux éditions Beauchesne :
472 pages, 27 euros |
[1] Henri-Irénée
Marrou, De la connaissance historique,
éd. du Seuil, coll. Points Histoire, 1975, p. 98
[2] Comme le
souligne Olivier Dumoulin dans la notice qu’il consacre à Marrou au sein du Dictionnaire des intellectuels français,
éd. du Seuil, 2002, p. 912.
[3] Pour s’en
convaincre on lira l’article que Marie-Josèphe Rondeau consacra à « Jean
Daniélou et Henri-Irénée Marrou et le renouveau des études patristique »
in Les Pères de l’Eglise au XXe siècle.
Histoire, Littérature, Théologie, Paris, éd. du Cerf, 1995, p. 351.
[4] Suivront
le Traité de la musique selon l'esprit de
saint Augustin en 1942, L'ambivalence
du temps de l'histoire chez saint Augustin en 1950 et enfin Saint Augustin et l'augustinisme en 1955,
qui est sans doute, à ce jour, la meilleure introduction à l’évêque d’Hippone.
[5] Nouvelle Histoire de l’Eglise, t. 1, 2e
partie ; De la persécution de
Dioclétien à la mort de Grégoire le Grand (303-604), Paris, éd. du Seuil,
(la première partie de l’ouvrage est de Jean Daniélou).
[7] Il
donna, dans la collection « Sources Chrétienne » une remarquable
traduction commentée de l’épître A
Diognète. Il faut également noter que Marrou entretint des relations très
étroites avec cette collection dès sa fondation et qu’il fut l’ami de ses
promoteurs, Henri de Lubac et Jean Daniélou. En avril 1943, il saluait la
parution des premiers volumes de la collection « Sources Chrétiennes »,
dans un article de La vie spirituelle.
[8] Voir sa
classique Histoire de l'éducation dans
l'Antiquité, éd. du Seuil, 1948.
[9] Henri-Irénée
Marrou, De la connaissance historique,
éd. du Seuil, 1954. L’ouvrage fut salué par Philippe Ariès comme un « livre
capital » et devrait servir de bréviaire à tous les apprentis historiens.
[10] Extrait
de l’introduction que Jean-Marie Mayeur donna à Henri-Irénée Marrou. Crise de notre temps et réflexion chrétiennes,
1930-1975, éd. Beauchesne, 1978, p. 9.
[11] « La
vie et l'œuvre d'Henri-Irénée Marrou » article de Jean Delumeau paru dans les Comptes rendus des séances de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres, Année 2004,
Volume 148, Numéro 1, p. 225.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire