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jeudi 4 juin 2015

Gérard Granel et les éditions T.E.R.


Les éditions T.E.R., pour Trans-Europ-Repress, ont été fondées en 1981 à Mauvezin, dans le Gers, par Gérard Granel et, comme il aimait à le rappeler, quelques amis unis autour d’une connivence profonde de pensée[1]

Commençons donc par dire un mot de ce philosophe « dont le trait dominant fut de n’abandonner ni la profondeur philosophique ni le corps à corps technique avec le texte »[2].

Gérard Granel


Né à Paris en 1930, Gérard Granel entre en hypokhâgne après ses cours de philosophie. Il y suit l’enseignement de Michel Alexandre, puis celui de Jean Hyppolite en khâgne qui le plonge dans l’œuvre d’Hegel. Ce sera enfin l’École Normale Supérieure où Merleau-Ponty lui fait découvrir Husserl, et Jean Beaufret, Heidegger. Première rencontre capitale avec un penseur qui ne l’est pas moins et que Granel ne cessera d’interroger tout au long de son existence. 

D’autres grands penseurs suivront bien sûr et accompagneront son cheminement intellectuel, à commencer par Marx, puis Gramsci, Wittgenstein et Lacan[3]. Agrégé de philosophie et docteur ès lettres, Granel, après avoir occupé différents postes dans l’enseignement, obtient un poste à l'Université de Toulouse en 1972.

Enseignant tout autant passionné que passionnant, Granel n’en délaisse pas pour autant son œuvre de philosophe. De 1968 à 1972, trois ouvrages philosophiques d’importance paraissent chez Gallimard : Le sens du temps et de la perception chez E. Husserl, L'équivoque ontologique de la pensée kantienne, et enfin Traditionis traditio. 

Et comme si cela n’était pas suffisant à un seul homme, Granel œuvre pour le compte des mêmes éditions Gallimard à la traduction d’Husserl, Heidegger et Gramsci. Il « dérive du métier d’enseignant au métier de traducteur avec un plaisir extrême. Le travail de traduction, précise-t-il, empêche toute superficialité de la lecture. L’esprit d’une pensée est dans sa langue.»[4]

En 1981,  Granel fonde les éditions Trans-Europ-Repress qu’il dirigera jusqu’à sa disparition en 2000. Il y poursuivra son travail de traduction en élargissant plus encore son registre. En plus de l’allemand et de l’italien, Granel y traduira Hume et Wittgenstein de l’anglais, Giambattista Vico du latin.

Gérard Granel discutant avec Martin Heidegger, lors du séminaire du Thor (1968)
Photo : D.R.


Trans-Europ-Repress


Laissons donc à son fondateur le soin de présenter les éditions T.E.R. tel qu’il le fit en 1981 : « C’est une association type 1901 […]. Nous serons contents si nous publions entre 5 et 10 ouvrages par an, que nous composons, imprimons et diffusons nous-mêmes. Cela veut dire : de nos mains, avec peu de moyens, en prenant notre temps… »[5] Une conception artisanale donc, mais un artisanat de combat puisque Granel prend soin de préciser encore : « L’édition T.E.R., si elle est une "entreprise", ne l’est pas au sens de l’industrie, mais au sens du projet et du combat. »[6]

La maison se consacre essentiellement au domaine de la philosophie et se fait une spécialité des éditions bilingues d’ouvrages exigeants. Ajoutons à la liste des auteurs précédemment cités, les noms de Walter Otto, Gottlob Frege, Giovanni Gentile, Guillaume d’Ockham ou encore Ludwig Wittgenstein dont les éditions T.E.R. proposent une vingtaine de titres et l’on sera convaincu de la réussite de l’entreprise, toute à la fois modeste et considérable, de Granel. En tout, ce sont près de 40 ouvrages essentiels qui ont ainsi été donnés à lire au public français.  

Disparu à la veille du troisième millénaire, Gérard Granel, non content d’avoir marqué nombres d’étudiants et de penseurs, laisse derrière lui une œuvre philosophique importante ainsi qu’un travail éditorial considérable. Grâce lui soit rendue !

Grégoire Mabille




Pour en savoir plus au sujet de Gérard Granel,vous pouvez vous rendre sur le site internet qui lui est dédié : 






[1] C’est précisément avec son épouse Elisabeth Rigal, philosophe spécialiste de l’œuvre de Wittgenstein, son ami Georges Mailhos et son ancienne élève Annick Jaulin que Gérard Granel fonda les éditions Trans-Europ-Repress.
[2] Alain Degange, Gérard Granel, in Dictionnaire des philosophes, éd. P.U.F., vol.1, 1984, p. 1080.
[3] Pour plus de détails sur l’itinéraire intellectuel de Gérard Granel, on se reportera à : « Interview de Gérard Granel », in Dominique Janicaud, La réception de Heidegger en France, tome II : Entretiens, Paris, Albin Michel, 2001, p. 172-179.
[4] Entretien de Gérard Granel avec Alain Veinstein dans le cadre de l’émission A voix nue, diffusée sur France Culture le 8 février 1996.
[5] Gérard Granel, « Editer-Militer », in Libération, 15 janvier 1981.
[6] Gérard Granel, « Trans-Europ-Repress », in La Quinzaine littéraire, 15 juin 1981. 

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