Zibaldone ? Que se cache-t-il derrière ce titre énigmatique ? Un ouvrage monumental, difficilement définissable et dont la rédaction, qui s’étala de 1817 à 1832, fut l’œuvre d’un jeune homme qui avait moins de vingt-cinq ans lorsqu'il en écrivit l'essentiel.
Dans ce « cahier »
Leopardi a accumulé remarques et pensées, souvenirs et réflexions sur des
sujets divers, allant du plus trivial au plus subtil. Philosophie, philologie,
observations morales ou réflexions sur l'esthétique, analyse littéraire,
remarques politiques et historiques, ne sont là que quelques-uns des sujets
sans cesse abordés par Leopardi. On serait donc tenté de croire, de prime
abord, qu’il s’agit là d’une œuvre disparate. Il n’en est rien. Car c’est bien à
l’éclosion puis au développement d’une pensée que l’on est convié tout au long
des 2 400 pages que compte l’édition française.
Il existe bien évidemment quelques
passages abrupts, tout particulièrement lorsque Leopardi exerce
ses talents de philologue, mais ils ne gâtent en rien le plaisir de lecture qui
court tout au long de ces pages.
Difficile à définir, le Zibaldone ressemble en cela à son auteur. Leopardi ! Poète, figure romantique disparu bien jeune à rapprocher de Byron, Shelley. Philosophe, pessimiste tourmenté, annonciateur de Schopenhauer et Nietzsche. Génie précoce, qui à 15 ans entreprend seul l’étude de l’Hébreu, commente Porphyre et se livre à ses premiers travaux de philologie, à la manière d’un Stuart Mill.
Peut-être est-ce pour cela que
Leopardi eut, en France, moins d’audience que ses pairs ?
« Leopardi
n’a jamais été très lu en France. Tandis que Schopenhauer est arrivé à une
sorte de popularité littéraire, Leopardi est demeuré, même pour les lettrés,
dans la pénombre. Cela tient en grande partie à la médiocrité de ses
traducteurs et de ses commentateurs.»[1]
110 ans après que Rémy de
Gourmont eut rédigé ces quelques lignes, peut-on affirmer que la situation ait
changé ? Du point de vue de la popularité de Leopardi, trop peu sans
doute. Du point de vue de la qualité de ses traducteurs et commentateurs, absolument.
Et cela, entre autres choses, grâce au travail des éditions Allia qui proposent
au lecteur contemporain, de nombreuses traductions nouvelles de l’œuvre, dont
le Zibaldone qui nous intéresse
aujourd’hui.
« Croyez-vous qu’en envoyant
à Paris un exemplaire de mes poésies et proses, avec beaucoup de corrections et
d’ajouts inédits, ou bien un livre tout à fait inédit, on trouverait un
libraire qui sans aucune compensation pécuniaire de ma part en ferait une édition à ses frais ? Je crois que non… »[2]
La première traduction intégrale
de ce monstre de papier – quelque 4 500 pages minutieusement manuscrites,
publiées de manière posthume à Florence en 1898 – a été brillamment menée par Bertrand
Schefer en 2003. Pour son labeur il recevra, en plus de l’éternelle
reconnaissance de quelques lecteurs, les prix Italiques et Laure-Bataillon
de la meilleure œuvre traduite. [3]
Concluons cet article par une
note d’ordre matériel. Ce livre a quelque chose de monolithique. Il est, comme
toujours chez Allia, parfaitement façonné. Paré d’une ouverture rigide
entoilée, cousu, imprimé sur un beau papier ivoire, l’objet donne envie, exhale
tout à la fois la robustesse et le raffinement. Raffinement qui lui vient
également de sa mise en page et typographie irréprochable. Ajoutons à cela, en
guise de signature, deux signets carmin, forts utiles à l’usage d’un texte augmenté
d’un solide appareil critique et de deux index, l’un nominal, l’autre
thématique qui s’ajoutent aux index dressés par Leopardi lui-même.
G. M.
Pour en savoir plus ou acquérir cet ouvrage,il vous suffit de cliquer dessus :
[1] Rémy de
Gourmont, « Le pessimisme de Leopardi », in Promenades littéraires, Paris, Mercure de France, 1905, p. 45.
[2] Giacomo
Leopardi, lettre à Louis De Sinner, le 22 décembre 1836, in Giacomo Leopardi, Correspondance générale, Paris, éditions
Allia, 2007, p. 2 141.
[3] Au sujet de la traduction du Zibaldone, Ungaretti écrivait déjà à Paulhan en 1956 : "Je viendrai peut-être à Paris vers Pâques, pour porter le fameux Leopardi (le choix du Zibaldone) à Caillois. C'est pour la traduction que je suis très inquiet. Il ne faudrait tout de même pas qu'elle soit trop au-dessous d'un texte dont la langue est d'une perfection et d'une précision qu'on peut seulement égaler à Pascal." in Correspondance Jean Paulhan Giuseppe Ungaretti, 1921-1968, Gallimard, 1972, p. 492.
[3] Au sujet de la traduction du Zibaldone, Ungaretti écrivait déjà à Paulhan en 1956 : "Je viendrai peut-être à Paris vers Pâques, pour porter le fameux Leopardi (le choix du Zibaldone) à Caillois. C'est pour la traduction que je suis très inquiet. Il ne faudrait tout de même pas qu'elle soit trop au-dessous d'un texte dont la langue est d'une perfection et d'une précision qu'on peut seulement égaler à Pascal." in Correspondance Jean Paulhan Giuseppe Ungaretti, 1921-1968, Gallimard, 1972, p. 492.
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